Notre méthodologie d’intervention

 

Travail, santé et risques psychosociaux (RPS)

Le travail, facteur de construction ou d’altération de la santé

Nous partons du principe que l’homme au travail ne donne le meilleur de lui-même que lorsque le travail lui offre les conditions de construire sa santé, de déployer son intelligence, et de faire partie intégrante d’un collectif. Dans le cas contraire, le travail peut engendrer des effets délétères de toutes sortes : troubles musculosquelettiques, accidents du travail, non-qualité, absentéisme, mal être, conflits…

Travailler, c’est toujours gérer les inattendus du réel, ce qui convoque le salarié à faire des choix. Tous les plus petits actes du travail réclament des prises de décision, qu’elles soient conscientes ou non. Or chacun de ces choix, chacune de ces décisions, m’engagent en tant que personne, non seulement par le biais des valeurs que je fais valoir à travers mes choix, mais également parce que ces choix comportent toujours une part de risque : risque d’échouer, de créer des difficultés nouvelles, de déplaire… Loin d’être pure exécution, le travail se présente ainsi comme un « usage de soi »[1], un destin à vivre auquel nul n’échappe : en choisissant telle façon d’agir, on se choisit soi-même.

C’est dans la mobilisation de chacun pour gérer l’écart entre le prévu et le réel, que se construit, ou s’altère la santé au travail. Il faut entendre la santé non pas comme « l’absence de maladie », mais comme la possibilité d’agir sur son milieu, d’être pour quelque chose dans ce qui nous arrive. Il s’agit de la santé au sens où la définit Canguilhem[2] : « Je me porte bien, dans la mesure où je me sens capable de porter la responsabilité de mes actes, de porter des choses à l’existence et de créer entre les choses des rapports qui ne leur viendraient pas sans moi ». Le travail contribue à construire sa santé, lorsqu’il permet de se sentir acteur dans son travail, d’éprouver et de faire progresser son « pouvoir d’agir[3] ».

Être en santé au travail suppose que je me reconnaisse dans une activité qui soit défendable à mes propres yeux, dont je puisse tirer quelque fierté, qui soit tournée vers le « bien faire ». Pour Yves Clot, « il n’y a pas de bien-être sans bien-faire[4] ». Mais se pose alors la question des critères de qualité du travail, qui ne sont jamais univoques et sont source de conflictualité. C’est déjà le cas dans un travail industriel, ça l’est a fortiori lorsqu’on travaille dans le médico-social, où l’objet de travail est l’activité d’autrui, autrement dit l’activité d’un sujet. Cet objet est par nature le siège d’une conflictualité, d’un conflit de critères et de valeurs, beaucoup plus importants que pour un bien matériel.

Se reconnaître dans son activité, cela signifie non seulement de se reconnaître dans les résultats de cette activité, mais aussi se reconnaître dans l’usage que l’on fait de soi dans sa propre activité. Car l’activité ne se résume pas à ce qu’on est parvenu à réaliser, c’est aussi tout ce qu’on aurait aimé faire mais à quoi il a fallu renoncer. Ainsi, pour Yves Clot, « les travailleurs évaluent [leur travail] à l’aune de ce qu’ils ont fait des possibilités et des impossibilités que le réel de leur activité leur a présentées, des occasions qu’ils ont saisies, de celles qu’ils ont ratées, des options qu’ils ont prises et des renoncements auxquels ils se sont soumis[5] ». Dans le travail, ce qui est le plus douloureux, c’est l’amputation de ce qui est à portée de main, l’amputation du pouvoir d’agir.


[1] Schwartz Y. et Durrive L. (s/d) (2003). Travail & Ergologie. Entretiens sur l’activité humaine. Toulouse : Octares.

[2] Canguilhem G. (2002). Ecrits sur la médecine. Seuil

[3] Clot Y. (2008). Travail et pouvoir d’agir. PUF – Coll. Le travail humain.

[4] Clot Y. (2010). Le travail à cœur – Pour en finir avec les risques psychosociaux. La Découverte

[5] Clot Y. (2008). Travail et pouvoir d’agir. PUF. Le travail humain.

Appréhendés sous l’angle du travail réel, les RPS ne sont pas une fatalité

C’est parce que le travail nécessite un engagement des personnes qu’il impacte les émotions et la santé psychique. Les recherches actuelles en clinique du travail montrent que cet engagement est mis à mal lorsqu’il devient impossible de réaliser du bon travail. Être en santé au travail suppose en effet de pouvoir se reconnaître dans une activité qui soit défendable à ses propres yeux, et donc tournée vers le « bien faire ». Pour Yves Clot, « il n’y a pas de bien-être sans bien-faire[1] ».

Ces recherches montrent également que les conflits de personnes trouvent leur origine dans les désaccords de travail non-résolus. Les désaccords dans le travail sont omniprésents (désaccords sur les critères du travail bien fait, sur les manières de faire…). Mais, non débattus, ces désaccords peuvent se charger d’une dimension affective et conflictuelle, ce qui les éloigne des objets concrets du travail qui en étaient l’origine, et compromet les possibilités de les dépasser.

Appréhendée sous l’angle du travail réel, la dimension psychosociale ne renvoie plus à une analyse comportementale et psychologisante. Elle est considérée comme inhérente aux conditions de réalisation du travail, à la fois comme objet d’analyse (en quoi les conditions de réalisation du travail génèrent-elles des RPS ?) et comme marge de manœuvre pour la prévention (quelles transformations de l’organisation du travail pour diminuer les RPS ?).

L’analyse du travail est donc au cœur de nos démarches de prévention des RPS. Elle permet de traduire en problématiques concrètes de travail, des affects qui s’expriment sous forme d’émotions individuelles – le manque de politesse, les agressions verbales, le manque de reconnaissance… Ainsi décryptées, les difficultés ne font plus obstacle. Il redevient possible d’engager la participation des professionnels à la construction d’une compréhension discutable des situations et des transformations à mener (techniques, organisationnelles, managériales, collectives, etc..).


[1] Clot Y. (2010). Le travail à cœur – Pour en finir avec les risques psychosociaux. La Découverte